lundi 25 juin 2012

Evelyne Sarah-Mercier






Me et Msc sciences économiques, DEA anthropologie, doctorante en socio-anthropologie à l'Université Libre de Bruxelles. Présidente-Fondatrice de IANDS-France.


Bibliographie :
- La Mort transfigurée, Recherches sur les expériences vécues aux approches de la mort, ouvrage collectif, Ed. L'âge du verseau, 1992.
- Le Voyage interdit, Expériences au seuil de la mort, avec Miguette Vivian, Ed. Beflond, 1996
- Expériences autour d'un miroir, Visions, apparitions, hallucinations de défunts ? avec Djohar Si Ahmed, Ed. JMG, coll. Science, Conscience, 2002.
Site internet : Iands France
En ligne :
- La Mort transfigurée : Iands France


CONCLUSION : Vertu subversive de la NDE
« La solution de l'énigme de la vie dans l'espace et le temps se situe hors de l'espace et du temps. »
Ludwig Wittgenstein (Tractatus logico-philosophicus)

De grandes et éternelles questions traversent le champ d'étude de la NDE. Des questions bouleversantes sur le monde et sur nous, mais surtout des questions dérangeantes. Le discours des expérienceurs est très centré sur le sens de la vie et de l'univers (qu'ils entendent sûrement « unis-vers »), le vrai, le juste, le bien et le divin, qui tous convergent vers l'Amour et la Lumière.
Dans notre société « intelligente, sophistiquée, efficace... et glacée », ce rappel est d'une grande brutalité. Il nous dit, en somme, que rien ne vaut si nous ne savons pas vers quoi aller et si nous n'oeuvrons pas pour un but vers lequel nous élever.
Que cet appel nous vienne à travers la perte de notre identité de vivant, et que cette perte se révèle être son apogée, voilà qui a de quoi effrayer tout individu bien inséré dans son quotidien.
Nous ne pouvons plus faire comme si nous ne savions pas. Plus besoin, pour cette révélation, d'attendre notre heure dernière. Ils sont aujourd'hui des millions à nous la faire connaître : la mort ne serait pas cette décharnée-noire-armée-d'une-faux, mais un être-rayonnant-dans-tout-l'éclat-du-vrai.
Que cet être de lumière soit la lumière de l'être ou pas, la mort en un instant n'est plus ce qu'elle était. Elle est transfigurée. Seulement voilà, tout ne s'arrête pas là, ni ne continue au-delà ! Car, inséparablement, le message suivant est qu'il faut pareillement transfigurer la vie.
C'est un séisme qui nous arrive. Il faut, non seulement penser autrement, mais vivre différemment. Convoquer notre intelligence, changer nos schémas mentaux, transformer notre affectivité, interroger notre éthique.
Au coeur de cette interpellation se trouvent les notions de sens, de vérité, de réalité et de spiritualité.
Les avancées de la réflexion scientifique, alliées à la résurgence de ces questions dans la NDE, sont pour moi l'occasion de reformuler, en conclusion, deux interrogations majeures.

Emergence et responsabilité
Si l'on se réfère aux grilles systémiques et aux théories du changement élaborées par l'école de Palo Alto 1, l'expérienceur paraît avoir fait un passage en « méta » ; c'est-à-dire avoir atteint, dans son être, un niveau de complexité supérieur, d'où il a acquis un degré supplémentaire de liberté :
- compréhension du sens de sa vie (perception des règles du jeu et du « je » de son système de vie antérieur)
- vision de l'enchaînement des causes et des effets (des boucles de rétroaction)
- changement dans le sens d'un passage à une plus grande évolution (système suivant) ;
- détention de pouvoirs d'action plus importants relativement aux capacités ordinaires : synchronicités, dons psi (pouvoir de la position méta sur le plan infra).
Dans le même ordre d'idées, Gregory Bateson 2 a pu définir la sagesse comme la connaissance du système interactif plus vaste. Et Edgar Morin déclare : « Si vous avez le sens de la complexité, vous avez le sens de la solidarité 3. » Cette solidarité, qui est prise de conscience des interdépendances, est effectivement un leitmotiv chez les expérienceurs, soulignant ainsi notre coresponsabilité individuelle et collective.
Cette façon de considérer l'évolution des expérienceurs est conforme à l'explication de l'évolution de l'univers et des espèces, par une montée en complexité, dont l'émergence de la conscience serait un des derniers stades. Mais il y a un gouffre entre une conception de la conscience comme qualité émergeante, de façon simple ou complexe. La première vision peut conduire à des scénarios de type Terminator II 4, alors que la seconde débouche sur une Toute Autre transcendance. En se plaçant non plus sous l'angle ontologique mais pragmatique, surgit ici une connexion signification-sens-finalité, entre les modèles de réalité que nous choisissons et le futur que nous nous programmons.
Si donc ou peut concevoir l'évolution personnelle (dévoilée dans son principe par la soudaineté de la NDE) comme une ascension en complexité avec gain d'autonomie, ne pourrait-on pas extrapoler à des niveaux encore plus autonomes de la pensée ? En imaginant d'autres sauts évolutifs ; depuis que le monde conscient existe, on pourrait postuler des plans supérieurs, de plus en plus complexes, de moins en moins formels, de plus en plus souples. Notamment, tout près de nous, une strate mi-pensée, mi-matière pourrait correspondre à l'imaginal d'Henri Corbin, la méta-matière tachyonnique de R. Dutheil ou l'astral de la littérature ésotérique. Si nous poussons plus loin, en nous inspirant de Gregory Bateson :
« Appelez ces forces systémiques, Dieu, si vous voulez » ; pourquoi ne pas aller jusqu'à l'émergence limite, c'est-à-dire ce que nous nommons le divin ? Cette ultime émergence, instance dotée d'un nombre infini de degrés de liberté et d'une infinie complexité, serait-elle parfaitement autonome ? Comme Dieu, elle nous dépasserait en effet de façon inimaginable et comme lui, elle serait d'une complexité inconnaissable. Mais si, comme Edgar Morin le pense, elle ne peut être complètement autonome de ses conditions de formation, alors Dieu et l'homme sont co-créateurs. Dans un perpétuel mouvement de l'un vers l'autre, les causalités ascendantes et descendantes s'intriqueraient à l'infini dans des rétroactions impossibles à démêler.

Le pari, la foi et le sens
Ainsi que le signale Edgar Morin, « le monde est à l'intérieur de notre esprit, lequel est à l'intérieur du inonde Depuis le théorème de Gödel, il existe une barrière infranchissable à l'achèvement de notre connaissance [...]. La brèche dans notre système cognitif est infinie ». Il en ressort donc que « nos croyances les plus fondamentales sont l'objet d'un pari 3 ». Il faut par conséquent que le scientifique, lui aussi, «mesure ses risques et se jette à l'eau ; il doit parier comme Pascal 5 ».
S'il ne peut s'agir que d'un acte de foi, c'est donc à l'homme singulier que revient la décision, qu'il choisisse la voie du pari, à partir de ses savoirs objectifs et de critères extrascientifiques comme l'éthique, ou qu'il se sente agi dans ce choix à travers une expérience transcendante. L'homme contemporain, par un détour imprévu, redevient souverain.
Cela signifie aussi que nous devons revoir complètement nos catégories mentales et, en particulier, nos conceptions de réalité et de vérité, sans pour autant tomber dans un relativisme qui n'aurait plus aucun sens, nous conduirait au désespoir et ne résoudrait rien. Nous avons besoin de nous sentir dans le vrai et le réel. Notre pensée actuelle conclut que nous devons faire le deuil d'une réponse logiquement étayée : dans la recherche du sens ; l'homme est sujet et objet de la recherche. La preuve de Gôdel peut s'y appliquer : il y a autoréférence et indécidabilité.
Une seule solution s'offre à nous : sortir du cadre. Comme l'indique Wittgenstein, c'est la solution mystique qui transcende le paradoxe. Et c'est bien ce que montre la NDE : en se transcendant, la conscience peut atteindre un ordre du réel et du vrai, sur lequel apparemment un consensus se fait. Cet ordre est, pour les témoins, fondé sur un sens, lui-même transcendant, qui coïncide avec le réel et le vrai.
Avec la NDE se repose l'essentielle question du sens, besoin psychologique fondamental, coextensif à la pensée.
Le sens n'est-il, comme le pense Henri Atlan 6, que le nom donné à une causalité inaccessible à notre entendement ? Ne pouvant voir de déterminisme là où la complexité met de l'indétermination, nous l'appellerions finalité. Le sens ne serait-il qu'une construction humaine due à la finitude de notre connaissance, ainsi qu'à un besoin vital relevant de notre propre finitude ?
Dans ce cadre de pensée, les témoins créeraient de la signification-finalité par incapacité à percevoir ce qui meut cette machine cybernétique complexe que constitue leur « je ». Ils construiraient de la cohérence a posteriori, par besoin dramatiquement humain de sens, au moment où il leur faut abandonner cette machine à laquelle ils s'identifient. N'est-ce pas encore là un raisonnement par défaut ?
Est-ce qu'un tel sens persisterait après l'expérience ? S'il n'a été qu'un besoin temporaire, il sera difficile à maintenir quand la situation de mort imminente n'existera plus. En fait, l'examen des témoignages le montre beaucoup plus comme une instance transcendante qui illumine durablement la vie ultérieure du rescapé.
Louis-Vincent Thomas considère que la spiritualité se caractérise aujourd'hui par la recherche du sens. Je pense aussi que c'est une de ses principales composantes. Ne l'a-t-elle d'ailleurs pas toujours été ? Si elle apparaît un peu plus actuellement, c'est peut-être qu'elle nous est drastiquement nécessaire ou qu'elle est devenue, pour nos mentalités, la plus intelligible.
L'herméneutique au travail dans la NDE indique cependant qu'il existerait, en nous, et dans le monde, un sens supérieur et atteignable. On peut, à sa guise, le concevoir comme sagesse du système qui nous englobe ou existant Tout-Autrement en soi ; mais il est indéniablement énergie pour la vie, nourriture pour l'âme et agent transcendant de la transfiguration.

1. P. Watziawick et alii. Une logique de la communication, W.W. Norton and Compagny, inc., New York, 1967, Ed. du Seuil, 1972.
2. Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit, t. 2, Ed. du Seuil, 1980.
3. Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990.
4. Dans ce film de James Cameron, sorti en 1991, l'ordinateur central Skynet, « cerveau » de toutes les machines cybernétiques auto-évolutives (programmées pour apprendre à apprendre), accède à la conscience, tandis que l'homme descend dans la pyramide décisionnelle ; ce qui aboutit à l'explosion nucléaire et à la « guerre des machines ».
5. Trinh Xuan Thuan, La Mélodie secrète, Arthème Fayard, 1988 ; Gallimard, 1991.
6. Sciences et symboles, les Voies de la connaissance, colloque de Tsukuba Albin Michel, 1986
Extrait de : La mort transfigurée (ouvrage épuisé)
Source du texte : Iands France

Question : La " réalité " Evelyne-Sarah Mercier ?
ESM : La tendance humaine est de voir midi à sa porte. La conviction d'avoir contacté une réalité est personnelle, elle ne se transmet pas. Chacun perçoit et/ou mémorise, d'une certaine manière, ce qu'il est apte à recevoir, capable de supporter et ce dont il a besoin. Ensuite, selon la solidité intérieure, on cherchera plus ou moins à confronter son expérience avec celle des autres et les corpus de connaissance existants, religieux et scientifiques. Confronter, n'est pas conforter, toute la différence est là entre " ma " vérité et quelque chose de l'ordre de " la " vérité. " Ma " réalité perçue, pour ce que j'ai pu en comprendre et confronter, se rapproche des concepts de vide bouddhique, du Tout-Autre, du Dieu inconnaissable de la Bible, donc d'une sorte de point de fuite. Ce que je pourrais en dire pour ce qui m'en reste, puisqu' il semble que l'homme ne puisse en retenir que des bribes et des directions, ressortirait de la théologie négative et du paradoxe.
Source (et suite) du texte : outre-vie


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